Faut-il du communautarisme pour "intégrer la République?

Publié le par MB

Du communautarisme au républicanisme incantatoire : que penser du revirement rhétorique de Nicolas Sarkozy ?

par Rudy Reichstadt, Observatoire du communautarisme
Depuis ses premiers discours de campagne présidentielle de Nîmes et d'Agen, le probable candidat de l'UMP Nicolas Sarkozy a troqué son discours habituel vantant les "identités" et les "spiritualités" pour se faire le héraut de la République et de ses valeurs. Une analyse sérieuse de ses positions et de celles de ses principaux lieutenants conduit pourtant à ne déceler dans ce soudain accès de républicanisme qu'un nouvel avatar de l'opportunisme politique et de la stratégie de corruption idéologique qui amène à répudier la République en son nom.


Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy
Y a-t-il une « exception Sarkozy » en matière de communautarisme ? Tout porte à penser que le président de l'UMP, à l'instar de beaucoup de ses pairs de droite comme de gauche, pratique le clientélisme communautaire. Mais celui qui tente aujourd'hui de se refaire une virginité républicaine à travers des prises de position fortes sur la nation et la République, qui fulmine contre la « tentation communautariste » tout en entretenant un savant flou artistique sur ce qu'il entend concrètement par « discrimination positive », échoue à convaincre.

Les récents discours de Nîmes (Pour la France, 9 mai 2006) et d'Agen (Pour la France du travail, 23 juin 2006) ont en effet marqué un infléchissement significatif de la vulgate sarkozienne. Au point que le candidat à l'élection présidentielle de 2007 séduit désormais d'anciens compagnons de route de Jean-Pierre Chevènement comme Max Gallo (1) ou attire la sympathie critique mais somme toute bienveillante d'un Alain-Gérard Slama (2) dont l'inflexibilité sur les questions de communautarisme n'a d'égal que la sagacité des analyses (son dernier opus, Le Siècle de Monsieur Pétain, traite admirablement de cette aspiration identitaire qui, alternativement, exclu et emprisonne l'individu (3)).

Pourtant, il y a loin de la parole aux actes et la geste sarkozienne est truffée de contradictions.
Comment peut-on, en effet, flétrir ce communautarisme qui « menace d'enfermer chacun dans ses origines, dans sa religion et sa couleur de peau » (4), et se prononcer, dans le même temps, pour la prise en compte de l'origine ethnique dans les statistiques officielles (5) ?

Comment peut-on fustiger « ceux qui conspuent la France », qui la « caricaturent au travers de son histoire », prétendre également avoir tiré les leçons du non au référendum sur la Corse du 6 juillet 2003 et, en même temps, consentir à la ratification de la Charte des langues régionales et minoritaires (6), l'une des revendications les plus fondamentales des ethno-régionalistes ?

Comment peut-on appeler à une réforme de la loi de 1905 séparant les églises et l'Etat, au motif de « nationaliser » l'islam français, tout en s'en remettant, sur les questions touchant à la formation des imams ou au voile islamique, à l'avis d'une autorité religieuse étrangère (7) ?

Comment peut-on se dire préoccupé par l'égalité des chances, au point de prôner des méthodes radicales qui peinent à faire leurs preuves outre-atlantique (la fameuse « discrimination positive »), tout en affichant un bilan si peu convaincant ? Donner plus à ceux qui ont moins, très bien ! Encore faut-il ne pas se payer de mots ! Nicolas Sarkozy est, depuis 1983, à la tête d'une commune des Hauts-de-Seine – Neuilly – abritant moins de 800 logements sociaux, soit 2,5 % du parc résidentiel, ce qui est en totale infraction avec la loi SRU, qui exige un minimum de 20 % de logements sociaux (8). Alors quoi ? Volontarisme ici, immobilisme là ?!

Paradoxalement, ce n'est pas à Neuilly qu'il faut chercher un « laboratoire » du sarkozisme, mais à Asnières, où le « monsieur sondages » de l'UMP, Manuel Aeschlimann, expérimente les recettes de son mentor. Un « conseil des communautés » y est ainsi chargé, depuis 2002, d'appuyer la stratégie de marketing électoral de la municipalité qui consiste à cibler les populations et à identifier les problèmes qui leurs sont propres (9).

On pourrait objecter que le maire d'Asnières est une exception. Que le camp politique du Ministre de l'Intérieur a ses brebis galeuses. Que nenni ! C'est en observant les émules de Nicolas Sarkozy qu'il convient d'apprécier sa méthode.

Ainsi Roselyne Bachelot. En rabatteuse de voix à l'Assemblée générale du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) (10), elle le déclare sans détours : « la discrimination positive est au coeur de l'engagement de Nicolas Sarkozy », même si, ainsi que le précise Patrick Devedjian, « il faut trouver un terme plus heureux que celui de "discrimination positive" » (rebaptisée depuis « action positive »)…

Ainsi Eric Raoult. Le député-maire du Raincy (Seine-Saint-Denis) et parrain de l'Association des Amis de Nicolas Sarkozy est aussi l'auteur d'une proposition de loi visant à sanctionner le blasphème (dépénalisé depuis 1791 !) pour s'attirer les grâces d'une organisation communautaire musulmane de Seine-Saint-Denis (11).

Ainsi Abderrahmane Dahmane. Considéré comme un proche de M. Sarkozy, ce secrétaire national de l'UMP chargé des relations avec les associations des Français issus de l'immigration, par ailleurs président d'un groupusculaire Conseil des démocrates musulmans de France (CDMF), appelle de ses vœux la constitution d'un « lobby maghrébin », confessant qu'il « [agit] comme les juifs du CRIF » (12)!

On saisit ici les limites et les incohérences du communautarisme tous azimuts.
En effet, Nicolas Sarkozy, qui a reçu le prix de la tolérance du Centre Simon Wiesenthal pour son action contre l'antisémitisme le 11 avril 2003, s'est rendu, huit jours plus tard (ah les savoureux hasards du calendrier !), à l'Assemblée générale annuelle de l'UOIF… la même UOIF que le Centre Simon Wiesenthal considère, dans un rapport rendu public (13), comme violemment antisémite !

Il faut toutefois s'arrêter un instant sur l'enjeu que représente la communauté juive dans la stratégie sarkozienne. En avril 2004, en visite à Washington, celui qui était alors Ministre de l'économie et des finances, n'a pas hésité à répondre favorablement à l'invitation à déjeuner de représentants de l'influent American Jewish Comitee (AJC). Cette visite, qui, selon les termes d'Esther Benbassa, « a eu un impact très fort en France » (14), prend place dans une stratégie de conquête du « vote juif » – aussi contestable que puisse apparaître ce type d'expression – qui ne doit rien à l'improvisation. C'est que « beaucoup de juifs éprouvent de la gratitude pour Nicolas Sarkozy », comme l'affirme Roger Cukierman, le président du CRIF (15). Le 30 mars 2006, Nicolas Sarkozy s'est ainsi vu décerner le prix de l'homme politique de l'année par l'Union des patrons et professionnels juifs de France (UPJF) (16). Accueilli avec enthousiasme jusque parmi les rangs de l'Hachomer Hatzaïr, association sioniste pourtant classée à gauche, Nicolas Sarkozy doit sa popularité auprès des organisations communautaires juives à ses prises de position fermes sur l'antisémitisme, à son intransigeance sur la délinquance, et à sa démarcation de la ligne traditionnelle des gaullistes en terme de politique étrangère. Il est en effet l'un des rares présidentiables à proposer aussi clairement de réorienter la politique proche-orientale de la France, jugée pro-arabe, en faveur d'un soutien plus franc à l'Etat d'Israël, comme peuvent en témoigner ses récents propos sur la guerre du Liban (17). En outre, dans un contexte d'affrontement communautaire larvé entre juifs et musulmans, le Ministre de l'Intérieur se présente en grand consolateur de « la Communauté ». De sorte que dans l'imaginaire d'une partie non-négligeable de l'électorat juif, Nicolas Sarkozy est devenu celui qui, dans les banlieues comme sur la scène internationale, « tient tête aux Arabes ».

Nul doute que le chef de l'UMP voudrait pouvoir entretenir d'aussi bonnes relations avec toutes les autres organisations communautaires. Aussi n'hésite-t-il pas à faire des appels de pieds aux diverses sectes évangéliques ou encore à l'Eglise de scientologie qu'il qualifie pudiquement, dans son livre La République, les religions, l'espérance (18), de « nouveaux mouvement spirituels ».

Le candidat à l'élection présidentielle de 2007 devrait se rappeler De Gaulle. Le Général était, comme le « fils d'immigré hongrois », un authentique catholique… en tant que personne privée ! Car De Gaulle, qui était tout sauf un « bouffeur de curé », se faisait une idée bien trop élevée de la République et de la laïcité pour qu'il acceptât, comme chef de l'Etat, de se signer en public. « La France » ne va pas à la messe. « La France » ne communie pas. « La France » ne se signe pas. Nicolas Sarkozy ne semble pas disposé à s'encombrer de tels scrupules « laïcards », considérés comme des tabous archaïques hérités d'une tradition républicaine surannée. Le signe de croix « ostensible » qu'il a exécuté lors d'une cérémonie officielle et dans le cadre de ses fonctions ministérielles devrait par conséquent faire réfléchir ceux qui sont prêts à lui donner la République sans confession.

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1) Cf. Philippe Ridet, « Le pas de deux de Max Gallo et Nicolas Sarkozy », Le Monde, 22 juin 2006.
2) Cf. « Encore un effort, M. Sarkozy ! », Le Figaro, 26 juin 2006.
3) Alain-Gérard Slama, Le Siècle de Monsieur Pétain : Essai sur la passion identitaire, Librairie académique Perrin, 2005, 274 p.
4) Cf. Pour la France, Agen, 23 juin 2006.
5) Le 6 février 2006, Nicolas Sarkozy a déclaré à RTL qu'il déplorait l'impossibilité légale de mentionner l'origine ethnique des délinquants dans les fichiers administratifs.
6) Voir « L'UMP promet la ratification de la Charte des langues régionales et minoritaires », Revue républicaine, 30 juillet 2006.
7) Cf. Le cheikh en blanc de Sarkozy, Observatoire du communautarisme, 03 janvier 2004.
8) Cf. Anna Bitton, « Et à Neuilly, elle est où, la fameuse discrimination positive ? », Marianne, n° 397, 27 novembre-3 décembre 2004, p. 19-21.
9) Cf. Asnières : laboratoire du communautarisme pour la «France d'Après», Ariel Weinberg, Observatoire du communautarisme, juillet 2006.
10) Cf. « Les responsables de l'UMP aux états généraux du CRAN : "la discrimination positive est au coeur de l'engagement de Nicolas Sarkozy" », Observatoire du communautarisme, 30 avril 2006.
11) Cf. « Blasphème : proposition de loi ou fatwa ? », Observatoire du communautarisme, 31 mars 2006.
12) Abderrahmane Dahmane veut un "lobby maghrébin", Observatoire du communautarisme, 9 juin 2004
13) Cf. http://www.wiesenthal-europe.com/csw/CSWPages/csweurope_rapportuoif.htm
14) Cf. « Sarkozy veut convertir les juifs à sa religion élyséenne », Libération, 14 décembre 2004.
15) Cf. Cécilia Gabizon, « La droite progresse au sein de l'électorat juif », Le Figaro, 19 juin 2006.
16) Présidentielles : « L'Union des patrons et des professionnels juifs de France » (UPJF) roule pour Nicolas Sarkozy, Observatoire du communautarisme, 1er avril 2006
17) Le 16 juillet 2006, sur TF1, interrogé sur les bombardements israéliens au Liban, Nicolas Sarkozy a désigné le Hezbollah comme l'agresseur d'Israël et déclaré que l'Etat hébreu « [devait] se défendre et [avait] le droit de se défendre ».
18) La République, les religions, l'espérance, Pocket, 2005, 208 p.
 

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