A quand les chars d'assault ?

Publié le par M.BENTEBRA

Les policiers dans un cercle infernal

La politique répressive de Nicolas Sarkozy suscite de plus en plus d’interrogations chez les policiers. Beaucoup espèrent désormais le retour de la police de proximité afin de désamorcer les tensions.

Pourquoi Bouna, Zyed et leurs amis ont-ils couru ? Ces adolescents n’avaient rien à se reprocher. Et pourtant, à la seule vue des uniformes bleu marine, ils se sont enfuis à toutes jambes. La peur au ventre. Allant jusqu’à mettre leur vie en danger. Une course poursuite dramatique, symptôme de l’hostilité réciproque qui rythme désormais les relations entre policiers et jeunes des cités populaires. « Les contrôles incessants, les provoc’, les interpellations musclées... La police n’est pas synonyme, ici, de sécurité mais de problèmes », résume Khaled, un trentenaire, père de deux enfants. Depuis les événements de Clichy-sous-Bois, cette profonde fracture ne s’est pas résorbée. Au contraire. Les récents affrontements à Épinay ou aux Tarterêts sont venus rappeler que la situation continue de se dégrader.

Plusieurs chiffres attestent de cette tension permanente. Selon l’Observatoire national de la délinquance, les agressions contre les dépositaires de l’autorité ont augmenté de 9,2 % entre octobre 2005 et septembre 2006. Venant confirmer une tendance qui dure depuis plusieurs années. Le nombre de violences commises à l’encontre des policiers est passé de 11 422, en 1996, à près de 20 000, en 2004 ! Autre indicateur : les plaintes pour « outrages et rébellion ». En Seine-Saint-Denis, elles représentent désormais 20 % de l’ensemble des infractions reprochées aux mineurs. Un taux jamais atteint auparavant. Dans le même temps, les interventions des policiers se sont singulièrement durcies. Occasionnant des dérapages de plus en plus fréquents. En avril, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) se félicitait, pour l’année 2005, d’un recul de 5,6 % du nombre de plaintes déposées pour violences policières. Oubliant juste de préciser que ce résultat venait après des années de hausse : 517 plaintes en 2001, 560 en 2002, 611 en 2003, 724 en 2004.

« On est dans une impasse »

À l’approche des élections professionnelles du 20 novembre, les langues se délient un peu dans les commissariats. Longtemps charmés par le discours viril de Nicolas Sarkozy, de plus en plus de policiers dénoncent, aujourd’hui, les limites de sa politique exclusivement répressive. « On est dans une impasse », reconnaît sans mal Michel Jabian, du Syndicat national des officiers de police (SNOP). Constat amer. Un an après les violences urbaines, aucune leçon ne semble avoir été tirée par la Place Beauvau. Sur le terrain, le fossé d’incompréhension entre jeunes et policiers s’est encore agrandi. « Nous, on ne parle plus de risque de divorce avec les jeunes, le divorce, il est consommé depuis longtemps ! peste un gradé, vraiment inquiet. Désormais, la question est plutôt de savoir comment on va faire pour réparer les dégâts. »

Que faire, en effet ? Aux yeux de beaucoup, Nicolas Sarkozy est coupable d’avoir dissout du jour au lendemain la police de proximité. Et axé toute sa politique sur l’interpellation, avec, en toile de fond, l’exigence de « faire du chiffre ». Avec lui s’est tari le dialogue avec les habitants, les associations de prévention ou même les polices municipales. « Actuellement, on ne fonctionne plus qu’avec des brigades d’intervention, type BAC, qui font des actions ciblées, explique un gardien de la paix. Et dans les quartiers sensibles, on intervient avec l’appui des CRS qui sont juste formés pour le maintien de l’ordre. Tout ça n’est pas vraiment de nature à pacifier les relations. »

des interventions moins crispées

D’où le souhait, émis par plusieurs syndicats de policiers, dont l’UNSA-police, première organisation chez les CRS, de voir une police de proximité reprendre pied dans les cités les plus difficiles. « La police de proximité permet de mieux connaître le terrain, acquiesce Paula Bergs, responsable de la CFDT-interco. Les interventions sont moins crispées, le policier travaille avec moins d’appréhension. Cela lui permet aussi d’éviter de multiplier les contrôles d’identité, considérés trop souvent par les habitants comme un véritable harcèlement. »

Un discours qui ne fait pas encore l’unanimité. « La police de proximité ne reste qu’une technique parmi d’autres, tempère Olivier Damien, secrétaire général du Syndicat des commissaires. Notre gros souci, c’est surtout le manque de cohérence entre les différentes politiques en matière de justice, de police et de prévention. »

La question du recrutement des policiers et de leur formation joue aussi un rôle central. Actuellement, 80 % des gardiens de la paix frais émoulus de l’école de police se retrouvent parachutés en banlieue parisienne, au milieu d’autres jeunes. La plupart sont des provinciaux ne connaissant les cités que par le biais des journaux télévisés. « Beaucoup viennent chercher des galons de brigadier et savent qu’ils vont repartir deux ans après, explique un ancien commandant de la BAC des Yvelines. Il n’y a pas d’attachement ni au territoire ni aux habitants. Un jeune gardien, souvent violent en intervention, m’a un jour répondu : « Moi, je suis de Marseille, j’en ai rien à foutre de ces gens-là !.... Avec un état d’esprit comme ça, les risques de dérapage sont plus fréquents. »

Le turn over en banlieue parisienne reste impressionnant. Déracinement, coût de la vie élevé... Pour les syndicats de police, seuls un intéressement financier et des facilités de promotion permettraient de fidéliser les plus anciens dans les quartiers difficiles. Une proposition à laquelle Nicolas Sarkozy n’a jamais répondu. Comme il n’est jamais revenu sur la répartition des effectifs de police sur le territoire national. Celle-ci n’a pratiquement pas varié depuis cinquante ans. « Du coup, remarquent les sociologues Marc Loriol, Valérie Boussard et Sandrine Caroly, dans un récent article, les banlieues qui comptent le plus grand nombre d’actes de délinquance sont parfois moins bien pourvues que des départements ruraux. »

Pour notre ancien commandant de la BAC 78, Nicolas Sarkozy, avec son discours guerrier, a définitivement fait « fausse route ». « Le respect, le dialogue et la confiance sont les seules choses qui fonctionnent dans les quartiers difficiles, rappelle ce vieux de la vieille qui a effectué vingt-trois ans en brigade de nuit. La violence, elle, n’entraîne que la violence... »

Laurent Mouloud

l'Humanité.fr

Publié dans Education

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